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L'association de la généalogie juive
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Par Caroline GUILLOT
La plus précieuse des marchandises, film d’animation, adaptation par Michel Hazanavicius de l’œuvre de Jean-Claude Grumberg, sorti en salle le 20 novembre dernier. Pour l’anecdote, Jean-Claude Grumberg est, depuis l’adolescence, un ami proche des parents de Michel Hazanavicius. Principalement connu comme dramaturge, Grumberg a perdu père et grands-parents lors de la Seconde Guerre mondiale après que ceux-ci furent arrêtés lors de la Rafle, puis déportés à Auschwitz. Lui-même a survécu en étant caché à la Maison des enfants de Moissac. Publié en 2019 (voir la rubrique Lectures dans la revue GenAmi 88), La plus précieuse des marchandises, un conte, relate le destin d’une femme (voix de Dominique Blanc) qui vit isolée en forêt auprès de son mari bûcheron (voix de Grégory Gadebois, en remplacement de Gérard Depardieu). Le couple est pauvre et sans enfant : on ne connaîtra les conjoints que sous les noms « Pauvre bûcheronne » et « Pauvre bûcheron ». Le film reprend fidèlement ce parti pris. La voix du narrateur, clairement identifiable car le rôle est interprété par Jean-Louis Trintignant décédé peu après ; ce dernier a dû apprendre par cœur le texte (car il était aveugle) résonne douloureusement. Chaque jour, la femme se rend à l’orée de la forêt afin de regarder passer les trains et de prier que quelque marchandise, d’où le titre, en tombe. Elle ignore qu’il s’agit en réalité de convois de Juifs, les « sans-cœur » comme les appelle son époux, vers le camp de concentration érigé plus loin. Un jour, elle a la surprise de trouver un bébé dans la neige, près de la voie ferrée. La petite fille a été lancée hors du train par son père, dans l’espoir que quelqu’un la sauve. Ce qui advient, grâce à Pauvre bûcheronne. Or, cette dernière doit composer avec l’antisémitisme de Pauvre bûcheron envers la petite et son peuple tout entier. Mais la femme persiste. Et lentement, l’homme s’attache. Ce faisant, il se libère de ses préjugés. Hélas, tous, dans les environs, ne sont pas comme lui… Il y a ainsi plusieurs messages et enseignements dans le récit, qui maintient une narration et des développements simples, propres au conte. Cela, en contraste avec la dense noirceur ambiante, surtout lors des apartés à Auschwitz, où l’on assiste par bribes au lent calvaire du père. Notons que Jean-Claude Grumberg a lui-même participé à l’écriture du film. On y retrouve assurément sa patte, ou plutôt sa plume. Le titre de l’œuvre, qui retourne comme un gant la néolangue nazie - la « marchandise » désignait les juifs promis à l’industrie de la mort -, est assez éclairant sur son esprit. Ici, pas de juifs ni de nazis, on y parle la langue du conte, qui évoque la « race maudite » ou les « dieux du train ».
Le résultat, qui dégage une austère poésie, est une réussite plastique certaine. Les nombreuses séquences dans la forêt enneigée, avec voile de brume ou de flocons, sont splendides. Visuellement, le film possède un réalisme minimaliste, un dépouillement qui sied bien au sujet. Quant aux contours épais des personnages, cela leur confère des allures de vieilles gravures animées. On ne peut s’empêcher de penser à l’œuvre de l’artiste russe Ivan Bilibine (crépuscule dans les bois, collines bleutées, sous-bois enneigés, la hutte dans la forêt…). Les passages à Auschwitz sont particulièrement saisissants, revêtant des allures de cauchemar à la façon d’Edvard Munch.
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